Un manifeste pour la liberté

Préambule

« Chère Madame,

Je viens de relire avec attention le compte rendu du conseil de classe pour le deuxième trimestre, et un point m’a interpellée qui m’avait échappé à la première lecture. J’ai constaté en bas de la page (et Rose avec moi malheureusement) qu’un grand nombre de mentions, les trois registres confondus, avaient été attribuées, 28 en tout. Or, la classe comptant 31 élèves, cela signifie-t-il que seuls 4 enfants se trouveraient exclus du processus global d’encouragement ? Ou serait-ce une erreur ?

Merci de bien vouloir m’éclairer sur ce point.

Bien cordialement,
Diane Seyrig 

« Madame,
Oui bien sûr, certains enfants n’ont pas de « mention » à cause de leur comportement gênant ou d’un manque de travail.
Pour Rose elle le sait elle est en classe et elle connaît le nom des enfants non récompensés car le professeur principal a fait lors d’une vie de classe le bilan du conseil de classe.

Yasmine Fauconnier
Responsable Educatif et Pédagogique
des classes de sixième »

« Chère Madame,

Merci pour cet écléircissement. Il me semble cependant que le système des félicitations sert à mettre en évidence les performances exceptionnelles de certains et, éventuellement, à motiver et encourager les efforts particuliers de certains autres. Je trouve relativement démoralisant d’inverser la méthode en isolant la minorité « fragile », qui se retrouve alors stigmatisée et étiquetée comme particulièrement médiocre voir carrément mauvaise, sans aucun encouragement auquel se raccrocher. Cela, pour moi, force le sentiment de « nullité » que les enfants ont tôt fait de s’attribuer dans cet environnement ou la comparaison et la compétition sont constantes.

Bien sûr, il vous appartient d’appliquer ce processus à votre guise mais permettez-moi d’en questionner le sens et la portée pédagogique.

Bien cordialement,
Diane Seyrig »

Madame La Proviseure, Monsieur Le Recteur, Monsieur le Ministre de l’Éducation, Chers Professeurs

Si je me permets de vous écrire aujourd’hui c’est en pensant à demain. Cela fait longtemps que je m’interroge à propos des vertus pédagogiques de notre système éducatif, ou devrais-je dire de nos méthodes d’enseignement. Je me posais déjà ces questions enfant, elles m’ont accompagnées en grandissant et à présent que j’ai moi-même des enfants elles revêtent un caractère d’urgence et d’importance particulier, une imminence soudain cruciale, fondamentale.

On nous dit que les choses changent. L’intention de changement est peut-être bien réelle mais il m’apparaît, au regard de l’entrée au collège de ma fille ainée, que si les choses vont très certainement changer, car elles ne pourront pas rester ainsi figées sous peine de révolution, cela prendra encore un certain nombre voire un nombre certain d’années.

J’observe le monde et voici, entre autre, ce que je vois. Une planète en souffrance tant nous avons voulu la contrôler avec avidité, l’asservir pour qu’elle nous serve au lieu de la servir. Et beaucoup d’êtres humains malheureux, tristes et gris, errant sans but précis à force d’avoir voulu s’adapter par nécessité, s’anesthésiant en se fondant dans la masse, luttant pour leur survie en appelant ça une vie à coups de « c’est la vie ». Pratiquant l’évitement du rejet en CDI avec eux-mêmes et la société, coûte que coûte et quoi qu’il leur en coûte, pourvu que la mort et sa peur se fassent oublier.

Et puis j’observe notre École, notre système scolaire si vanté et dont nous sommes si fiers, et je m’aperçois que le contrôle reste le maître mot, le mantra qui régit l’intégralité du processus d’apprentissage et de formatage des enfants de notre Nation si progressiste et privilégiée. Hormis quelques exceptions incarnées par une poignée de courageux, ou quelques rares audacieux (bien que de plus en plus nombreux) suffisamment anti-conformistes pour choisir de contribuer à la création d’un contre-système, notre École continue de gonfler les rangs de sa vaillante armée de soldats dociles et appliqués, en prenant bien soin de couper tout ce qui pourrait dépasser et venir enrayer un rouage si bien huilé.

ENDOCTRINEMENT

Et si mes propos sont emprunts d’amertume et de colère, c’est probablement parce que je tente désespérément de sortir du rang depuis longtemps, de m’en extirper après tant d’années à vouloir faire entrer les ronds dans les carrés, et aller vers ma liberté. C’est probablement que la peur, corrélative à toute tentative d’affranchissement, est encore bien présente, et que je ne suis toujours pas suffisamment sortie du rang pour m’affirmer pleinement et faire des choix en conscience pour mes propres enfants. Des choix potentiellement clivants, des choix intègres et engagés, pour leur propre liberté.

Alors oui, je m’interroge et vous interroge sur les vertus d’une pédagogie par lissage, par exclusion et stigmatisation de tout ce qui ne rentre pas dans vos cases et que vous ne parviendriez pas à étiqueter faute de critères préalablement identifiés, connus et reconnus comme étant communément acceptables, parce que rassurants, et éligibles à la définition et la programmation d’un plan de carrière digne de ce nom ?!

L’Unicef a, et à juste titre, élaboré une convention afin d’attribuer des droits aux enfants du monde entier qui, par leur statut même d’enfant, n’en n’ont pas autant que nous. Bien sûr, cette charte a été pensée tout particulièrement pour les cas extrêmes liés à la guerre, à la violence ou à la maltraitance notamment physique. Mais n’est-ce pas une forme de violence et de maltraitance psychique que de nier ce qui fait la nature même d’un individu, sa différence, sa singularité en portant sur lui un jugement de valeur pour oser être ce qu’il est et non ce que l’on attend de lui, tout en lui faisant faire un exposé sur la bienveillance et le respect d’autrui ?

Oui, je m’interroge et vous interroge vous, bien assis derrière votre bureau, sur lequel viennent se poser sûrement tout un tas de papiers, chaque jour à traiter, papiers que semble-t-il vous ne parvenez pas à jeter.

AFFRANCHISSEMENT

Children, there is no plan!

Non, les enfants, il n’y a pas de plan. L’Univers n’attend rien d’autre de vous que votre présence à la vie en étant VOUS, tout simplement.

Vous êtes complets et merveilleux, rien ne manque, tout est là. Pas de défauts à gommer, seulement des qualités à façonner comme le jardiner et le potier travaillent leur terre pour en faire exactement ce qu’ils ont envie d’en faire, parce qu’ils le sentent et le ressentent au plus profond d’eux-mêmes. C’est leur contribution. Soyez ce que vous êtes, il est grand temps ! Balayez la peur d’un revers de la main et misez tout ce que vous avez sur votre différence, car elle est votre essence, et le billet aller pour votre LIBERTÉ.

J’ai encore tant et tant à dire sur ce sujet, alors il se pourrait que j’enrichisse cette chronique plus tard. En attendant, voici quelques sources et ressources pour alimenter le débat et inviter à la réflexion avec amour et ouverture :

Cette vidéo sur les étiquettes que je vous ai déjà partagée mais qui est à nouveau fort à propos ici.

Les mots sont des fenêtres, ou bien ce sont des murs. Une amie m’avait parlé de ce livre sur la pratique et les bienfaits de la communication non violente. Il vient d’être ré-édité et a piqué ma curiosité. Il s’adresse à tous, mais certains enseignants pourrait grandement en bénéficier. Je m’y essaie mais la route est longue et non dénuée d’aspérité 🙂

Pourquoi j’ai créé une école où les enfants font ce qu’ils veulent. Ma tante me l’a prêté récemment. J’avoue avoir du mal à le lire tant il me confronte à mes propres limites, à mes propres peurs. Mais je crois qu’au fond de moi, c’est exactement de cela dont je rêve pour mes enfants.

Et je pense aussi à Tomi Ungerer, l’esprit frappeur, dont j’ai eu l’occasion de parler avec des amis il n’y a pas longtemps. Tomi Ungerer, artiste (alsacien 😉 étonnant, anti-conformiste aux multiples talents, parlait aux enfants en les prenant pour ce qu’ils sont, en sortant des sentiers battus de la littérature enfantine et en jetant des pavés dans les marres. « Ce qui m’intéresse, c’est le no man’s land entre le bien et le mal, que chaque camp puisse apprendre de l’autre. Si l’enfer est le paradis du diable, il n’y a pas de raison que le bon Dieu n’aille pas y passer quelques week-ends de temps en temps… 

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