Un Saint pour 3 Nicolas

A ceux qui, férus de psychologie de comptoir, diraient que j’ai épousé mon père, façon de parler vous m’entendrez, je répondrais que c’est tout simplement et techniquement infondé, puisque je ne suis pas mariée. Il ne fait en revanche aucun doute que je suis cernée, de tous côtés ou presque, par les Nicolas, qu’ils soient saints ou pas. Il y a Nicolas qui vit avec moi, celui dont ce n’est plus le cas mais qui m’a fait prononcer le deuxième nom du Grand Tétras pour la première fois, et il y a Saint-Nicolas. D’aussi loin que je me souvienne, nous avons, dans ma famille, fêté la Saint-Nicolas. Mon souvenir le plus ancien remonte je crois, non pas à mes jeunes années alsaciennes, mais à celles juste après, lorsque nous nous sommes installés à Djakarta. Une image me vient, une parmi tant d’autres de cette époque-là, dont je ne saurais dire si elle incarne une situation bien réelle, ou si elle a fini par se former dans mon esprit, comme une superposition de différentes images, un millefeuille de projections visuelles et sensorielles, comme une palette d’aquarelle dont on se serait servi plusieurs fois, en essayant en vain de recréer la couleur de la dernière fois. Cette image c’est celle de mon père, le premier des Nicolas, assis juste à côté de moi, au bord de mon lit, alors que j’ouvre une clémentine en pâte de fruit reçue pour la Saint-Nicolas. Oui, même là-bas, on y avait droit. Images d’Epinal et période merveilleuse de mon enfance, la plus merveilleuse je crois, où en tous cas celle dont il me semble qu’elle a été la plus légère, libre et joyeuse.

BANNIERE_FRUITS

Les clémentines en pâte de fruit me rappellent toujours mon Grand-Papa, le papa de Papa, qui nous faisait rire à table au moment du dessert en faisant mine de les avaler toutes entières, les clémentines, que je prenais à l’époque pour des oranges. Il en retirait soigneusement les deux chapeaux, en bas et en haut, et entaillait délicatement la peau dans un geste de la main arrondi et maîtrisé, par quartier, pour ensuite les décoller morceau par morceau sans écorcher l’intérieur. Et hop ! Il la mettait dans sa bouche, et nous éclations de rire, et ma grand-mère, garante de l’autorité locale, en profitait aussitôt pour sortir mon petit frère de table, incapable qu’il était de rester assis tout un déjeuner sans se balancer, en avant en arrière, à l’endroit à l’envers….Privé de dessert ! 

« Siffler à table, chanter au lit et rire à l’Eglise, sont trois marques de sottise. »

Dicton familial fumeux qui me revient ici. Des ces dictons trans-générationnels qui au fil du temps perdent leur sens et leur fondement et tombent en désuétude, mais que l’on continue de sortir à tout bout de champs. Il me semble que celui-ci était une sorte d’avertissement, inoffensif, répété comme une habitude lorsque nous faisions une bêtise de l’ordre de quelque chose qui ne se faisait pas, qui n’était pas approprié. Quoi qu’il en soit, s’il a pu m’arriver de chanter au lit et de siffler à table, je ne me rappelle certainement pas avoir ri à l’église puisque nous n’y allions pas, enfin presque pas. Ce qui ne voulait pas dire que nous ne croyions pas. L’un des avantages de la confession protestante étant de pouvoir échapper un tant soit peu, si on le veut, et pas Dieu, au dogmatisme religieux. Dans ma famille, foi et pratique ont toujours été deux choses bien distinctes, et surtout libres d’interprétation, un peu comme la méditation, chacun son choix, chacun sa voie, chacun sa chanson. Ce qui n’excluait pas certaines valeurs fondamentales, convictions personnelles ou croyances particulières reçues en héritage, comme dans toutes les familles, mais toujours mises en perspective d’un grand désir d’apprendre, de comprendre, et de beaucoup de curiosité et d’ouverture intellectuelle. Des croyances donc, et des convictions, mais avec l’esprit explorateur, et toujours teintées d’humanité. Ou bien serait-ce l’idée que je m’en fais, comme autant de constructions mentales qui prennent racine dans les méandres de l’imagination.

Digression…

La légende de Saint-Nicolas par l’Imagerie d’Epinal – Illustration de Hansi

Traditionnellement, la Saint-Nicolas est une fête du Nord et de l’Est de l’Europe et, bien que n’étant pas prioritairement rattachée à la religion, c’est une fête historiquement protestante et orthodoxe. Sans pour autant rentrer dans les détails, que je ne maîtrise d’ailleurs pas, Wikipédia ou la petite lanterne font ça beaucoup mieux que moi, il me semble néanmoins important de souligner ce fait comme constitutif d’une empreinte culturelle forte et d’une attitude spirituelle singulière.

La célébration commémorative de l’Archevêque turque s’est ensuite vue accompagnée d’une légende bien pensée que l’on raconte aux enfants pour qu’ils soient sages. Une de plus. Et puis Saint-Nicolas est devenu le Père Noël, s’est habillé en Coca Cola et a pris la place du petit Jésus pour jouer les messies. Tout s’est mélangé, et le saint fut dépossédé de sa sainteté au profit de la sainte société… de consommation.

61202bfb
Saint-Nicolas alias Santa-Claus alias Father Christmas et le Père Noël

De notre côté, un pourcentage notoire de nos origines basculant entre l’Alsace et le canton de Neuchâtel, on ne pouvait pas ne pas fêter la Saint-Nicolas comme il se doit, et ça continue comme ça, sans trop savoir pourquoi, faire remonter l’enfance et les moments heureux, se dire que tout ne se perd pas, ne pas mourir un peu.

Voilà.

La Saint-Nicolas, c’était Noël avant Noël, c’était les premiers chocolats, c’était mon frère, ma sœur et moi, réveillés à l’aube de tous les 6 décembre de notre vie ensemble, remplis d’excitation à la perspective de la découverte du contenu de nos chaussettes. Moment de grâce, moment d’enfance, moment de connivence et de complicité, volé à notre quotidien parfois tumultueux, comme tous les quotidiens des frères et sœurs entre eux.

Et ma mère, toujours si pleine d’humour malgré son fond de tristesse, et avec un certain penchant pour le kitsch, n’avait pas son pareil pour dénicher toutes sortes de petites surprises rouges et vertes qui nous projetaient instantanément dans ce que nous qualifions à l’unanimité de meilleur mois de l’année, après les vacances d’été.

Je vous souhaite à tous un joyeux week-end de Saint-Nicolas 🙂

Laisser un commentaire