La Fée verte est le nom que l’on donne à l’Absinthe dans le Val-de-Travers, sa région d’origine, jolie vallée de Suisse Romande, située non loin de la frontière française, aux confins des cantons de Vaud et de Neuchâtel, latitude 46.9179135, longitude 6.5410137. Un spiritueux d’un autre temps, consommé puis interdit puis consommé à nouveau, et aujourd’hui distillé dans cette même région, où il a sa propre Maison.
Cette vallée, qui n’a rien de travers, représente une portion non négligeable du camembert de mon berceau familial – bien que l’APC locale soit plutôt le Gruyère, que l’on qualifie de suisse, sorte de vérité de La Palice, le Gruyère, avec ou sans trous, tirant son appellation du canton du même nom.
Cette vallée à vu naître mon grand-père, en 1898, dans une grande et belle maison bernoise, cachée derrière les arbres, mais que l’on peut distinguer depuis la route. Une grande et belle maison que le temps n’a pas altéré, et où vit aujourd’hui ma tante Huguette, sœur ainée de mon père, mère et grand-mère de 94 ans, à l’optimisme inébranlable, le genre qui ne fait qu’une bouchée de la plus petite tentation mélancolique. Ma tante ne le sait pas, mais elle est en grande partie à l’origine de ce blog et de la concrétisation de mon penchant culinaire. Une bonne partie de mes recettes viennent d’elle, et de ma grand-mère Violette. Des recettes alsaciennes, suisses ou germaniques pour la plupart. Et, autant ma grand-mère n’a été contrainte d’apprendre à faire la cuisine que pendant la guerre, autant ma tante Huguette, seule fille au milieu de quatre garçons, s’est toujours servi de ses mains.
Chez ma tante Huguette, le DIY n’est pas un concept, il est une seconde nature. On tricote les pulls, les écharpes, les vêtements de poupée et les petits gilets de naissance, on confectionne des couvertures en patchwork et toutes sortes de housses et de trousses à usages divers, on brode les nappes, les sets de table et les abécédaires, et même les recettes de cuisine. Et puis on chante aussi, oui, dans cette famille, ma famille, on est très mélomane, la musique, on la connaît, on l’écoute, et on la vit, aussi. Petite fille, j’ai traditionnellement reçu un nécessaire à couture pour Noël un certain nombre de fois, comme pour donner un étriller à une vocation qui se devait d’être héréditaire, un talent allant de soi, une évidence féminine transgénérationnelle. Mais la fièvre ne m’a malheureusement jamais gagnée, patience et persévérance n’étant à l’époque pas vraiment mes alliées. Avec le temps, ce sont la musique et la cuisine qui ont conquis le territoire de mes envies.
Je me souviens aussi de la maison d’avant, celle de Muttenz, près de Bâle, où j’aimais beaucoup aller lorsque j’étais enfant. Il y avait mon oncle Pierre, qui m’impressionnait par sa grande moustache, la taille de ses mains et celle de ses connaissances. Il y avait mes cousins, tous plus âgés que moi et qui me paraissaient évoluer à des années lumière de mon univers. Un très joli jardin, créé et entretenu par mon oncle et ses compétences si multiples. Et ma tante Huguette, que j’ai toujours associée à la cuisine bien qu’elle soit probablement meilleure brodeuse. Mais je me rappelle qu’elle faisait elle-même ce délicieux dessert appelé vacherin, et la glace à la framboise, et je trouvais cela complètement incroyable et merveilleux. C’était comme ça que je la voyais, en formidable cuisinière, solide maîtresse de maison. Et j’ai construit une histoire autour d’elle, subjective, qui servait mes idéaux, mes manques et mes fantasmes d’enfant, comme on construit des histoires autour de toutes les personnes de sa famille. On leur associe des rôles, des personnalités, un vécu, parfois bien loin de ce qu’elles sont réellement. On les étiquette en quelque sorte, un peu comme les bocaux à confiture. Et puis un jour, on grandit, et on a envie de savoir. Alors on leur demande de se raconter, et on s’aperçoit qu’on ne les connait pas et que, derrière la cuisinière, la mère, l’épouse, la grand-mère, la brodeuse, la tricoteuse, se cache avant tout une femme. Une femme à l’enfance bourgeoise mais pas si joyeuse, une femme d’une génération et d’un milieu social où l’on ne vous voyait pas vraiment quand vous étiez une fille. Une femme qui a connu la guerre et la séparation. Une femme qui est tombée amoureuse le jour de ses 20 ans du bras droit de la directrice de la Croix Rouge alsacienne, pour laquelle elle va s’engager et contribuer, avec d’autres femmes, au placement des enfants de la guerre, alors loin de leurs familles, dont certains ne les reverraient peut-être pas… Et bien d’autres choses encore.
Il y a quelques semaines, lorsque je suis allée rendre visite à ma tante, dans la grande maison de Fleurier du Val-de-Travers, pays de la Fée Verte, et qu’elle m’a raconté cette jolie portion de vie, digne d’un roman d’après-guerre ou d’un de ces films sur la résistance, j’ai aperçu, dans l’entrebâillement d’une vieille armoire de famille, deux Linzertorte, soigneusement entreposées sur l’étagère inférieure, qui attendaient sagement le repas de Noël familial. J’ai souri, et ai tout de suite su de quoi parlerait ma prochaine chronique culinaire.
Cette tarte Linzertorte prends tout son sens,
J’essaye pour ces vacances de carnaval.
Quel « Bel » endroit ça me rappelle la maison de mon grand-père.
Essaie la recette et dis-moi ce que tu en penses ! Et envoie-moi une photo de la maison de ton grand-père 🙂