Chapitre 1 – Du champ à l’assiette
La Villa Paul ou les cressonnières de Méréville / Photographies : Lise Decoox – Texte : Diane Seyrig
Il y a quelques mois, Lise et moi avons décidé, autour d’un café, d’associer nos créativités respectives, et de nous lancer dans un projet de reportages photo-prosaïques autour de l’artisanat du terroir français et, plus généralement, de ceux qui mettent leur cœur à l’ouvrage et dont les mains sont l’outil de travail principal. Toutes les deux motivées par la même envie, celle d’apporter notre contribution en posant sur ces vies et ces métiers notre regard singulier, teinté de notre sensibilité visuelle et textuelle, de notre propre émotionnel. Des métiers parfois très anciens, qui sont à l’origine de ce que nous trouvons dans nos assiettes après passage en magasin. Et pour faire cela, pour amener une autre lumière sur des sujets souvent moult fois traités de tout un tas de façons différentes, nous avons pris le parti qui nous ressemblait le plus, celui de l’humain.
Et pour démarrer notre projet, nous avons choisi l’un des fleurons de notre culture agricole : le cresson de l’Essonne. Culture maraîchère, plusieurs fois centenaire. Nous sommes donc parties un vendredi, par un frais matin d’automne, à la rencontre d’Olivier Barberot, le Capitaine à la barre de la Villa Paul, les cressonnières de fontaine de Méréville.
Il est tôt (enfin surtout pour nous !). La lumière, les couleurs chaudes et profondes de l’automne veillent sur les cressonnières de l’Essonne.
En contrebas du village, après un arrêt d’ambiance et de circonstance au café local, nous découvrons à l’orée d’un sentier doré, un panorama graphique et chromatique magnifique. Du vert en contraste, tantôt cru tantôt tendre, dans des bassins de chlorophylle à l’état pur et d’une étonnante intensité. Emerveillement instantané.
Olivier ne devrait pas tarder. Sa maman Martine, dont l’inébranlable énergie et l’autorité naturelle n’ont rien à envier aux grands dirigeants de ce monde, vient de rentrer de Rungis dans l’un des camions de la maison, au décor de cresson peint à la main par un artiste du coin. Sa sœur Stéphanie, petit bout de femme au visage clair et plein d’une joie contagieuse, nous accueille plus que chaleureusement. Nous allons indubitablement passer un bon moment.
Nous commençons par un tour d’horizon pour que nos regards apprivoisent l’espace et s’imprègnent de l’atmosphère du lieu.
Le cadre est simple, brut, comme le produit qu’il met en scène. Végétal originel et original, à la saveur piquante et poivrée, cultivé sous sa forme la plus éthique, historique, authentique. Du cresson de fontaine, dit aussi d’eau ou de ruisseau. Une eau en permanente circulation et à la température constante, issue de la nappe de Beauce, l’une des nappes phréatiques françaises les plus sollicitées par l’agriculture, qui s’étend sur près de 10 000 km2 souterrains, avec une contenance d’environ 18 fois celle du lac d’Annecy, à ce qu’on dit.
Olivier arrive, avec son large sourire et son visage ouvert, coloré par le travail en plein air, révélant une générosité et un enthousiasme sans fioritures ni artifices -chez les Barberot, on est « dans le Cresson » depuis 5 générations. Peu bavard au départ, comme s’il attendait de voir se manifester l’authenticité de notre intérêt, comme s’il guettait nos intentions. Apporter une autre lumière, un éclairage sincère, qui vient de l’intérieur et porte les couleurs du cœur, le même que celui que ses ouvriers semblent mettre à la tâche. La matière première dans son plus simple appareil, mais aussi ces hommes et ces femmes, ce qui les a amenés là, et ce qui les fait rester. A la Terre reliés.
Il nous emmène faire le tour du propriétaire. Nous avons déjà fait connaissance avec quelques uns des gars sur le terrain, pris les premiers clichés, les premières notes. Une chose nous frappe comme une évidence, le Cresson est pour la plupart une deuxième vie, voir une troisième, une reconversion professionnelle qui leur est tombée dessus ou dans laquelle ils sont tombés, pétris d’une valeur profonde et partagée, prégnante, dominante et déterminante. Déviations. 10 hommes, 1 femme, 11 destinées.
On ne vient pas toujours au Cresson par vocation, mais quand on y vient, on s’y tient, ou serait-ce lui qui vous tiendrait ? Malgré la dureté du labeur, les motivations de ces hommes pour ce métier ont un dénominateur commun : la LIBERTE !
Etonnamment, la difficulté n’est pas affaire de posture, la cueillette étant visiblement le moment le plus apprécié, à l’unanimité. C’est plutôt le froid de l’hiver et les contraintes physiques qu’il apporte avec lui, équipement lesté, mains gercées, récolte freinée par le déroulement progressif des bâches de protection et le transport des brouettes dans les allées de terre. Mais là encore, l’appel du Dehors est le plus fort. La Nature, le corps et la tête au grand air, les mains dans l’eau sans cesse au contact du vivant. L’esprit est relâché, pas besoin de méditer.
Au cœur de la Cressonnière – une journée à la Villa Paul
Vivre chaque instant au présent, arrêter le temps, celui de Paris, et évoluer au rythme de la cressonnière deux jours durant, en ressentir les pulsations et la progressive agitation dès le petit matin. Dépaysement certain.
Une journée hors du temps dans cet ailleurs vert qui nous fait voyager si près de chez nous, précédée d’un joyeux dîner en famille comme si nous en étions, nous attaquons reposées, bottes chaussées, appareil chargé, mine taillée, curiosité aiguisée.
8h – Début de la récolte. Les rôles sont distribués par Olivier, les hommes se dispatchent, à chacun son bassin, en serre à couvert, ou en pleine terre.
La gestuelle est belle et d’une maîtrise parfaite. On commence par tirer sur les tiges qui semblent être infinies, on les rassemble en bouquet dans une main, puis on les coupe de l’autre d’un coup de poignet assuré à l’aide d’un petit couteau bien affuté, et on recommence jusqu’à remplir la main toute entière. C’est une question de feeling, lorsque le pouce et le majeur ne se touchent presque plus, le compte est bon. Egaliser les têtes et les pieds en quatre quarts de tour, ficeler, on y est !
Faire le moins de gestes possibles pour couper le plus possible. Les bottes sont denses, les feuilles galbées, fraîches et rebondies, leur couleur intense.
10h – Une pause café bien méritée sur un coin de camion. Les croissants sont bienvenus, les cigarettes s’allument et les langues se délient pour nous livrer des morceaux de vies. Et c’est reparti.
Midi – On fait le compte de la récolte du matin et on s’active au bassin de rinçage et à l’emballage. C’est l’exode des limaces et des escargots d’eau, tableau moucheté sur la tôle ondulée. C’est aussi l’heure de casser la croute.
13h – Nous replions collectivement notre banquet éphémère, dressé dans un coin de hangar dégagé pour l’occasion, et on s’y remet, après une redistribution des rôles. Stéphane au nettoyage des bordures, Olivier au tracteur, Cédric au tri, et une partie de l’équipe sur d’autres bassins un peu plus loin. Les uns après les autres viennent se livrer en pointillés à mon dictaphone, plus ou moins réservés, timides, enthousiastes, revêches ou intrigués. Connexion. Moment d’échange aussi court qu’intense, mes émotions en prennent un coup, je suis touchée par ces histoires, par la confiance accordée, un bout d’êtreté dévoilée et c’est toute l’humanité qui a parlé. Cadeau de l’Univers. Puis ils s’en vont se faire tirer le portrait, offrir leur plus beau profile à l’appareil de Lise.
Les « gars »
Des hommes, des femmes et des histoires. Des histoires qui ressemblent à toutes les histoires. Des vies en ricochets, des erreurs d’aiguillage, de pilotage, des arrêts sur image, des arbitrages, des choix de sauvetage et de ré-ancrage, de redémarrage. Parfois, nécessité fait loi, et d’autres fois c’est l’évidence, l’appel du grand Air et de la Liberté, ou la simple volonté de faire l’expérience. Cyril est ingénieur, il a quitté l’Afrique et sa famille, pour venir vivre une expérience agricole sur le terrain en France, et pouvoir rapporter cet enseignement chez lui, il dit que c’est en faisant qu’on apprend. Fred a eu mille vies, sa tête a décroché et le corps a parlé, il a choisi la Terre pour se réconcilier. Alexis veut faire carrière dans l’armée, un militaire de l’Univers. A 16 ans, il voit la vie en grand, beaucoup plus grand que lui. Malika, veut être libre, libre comme l’air qu’elle a choisi de respirer. Elle met sa douceur de femme au service de la nature. Mais qu’on ne s’y trompe pas, son geste est sûr et sa main ne tremble pas…
Et la famille Barberot au grand complet ! A qui nous disons un grand merci de nous avoir permis de vivre pleinement cette expérience « hors les murs ».
Affaire à suivre sur Facebook… Avec un cake au cresson dans les mains !